Point de départ de l’action
En 2018, un adhérent nous signale des écrasements d’amphibiens chemin du Marais sur la commune d’Ornacieux-Balbins. Notre association, plutôt cantonnée jusqu’en 2015 sur des sujets liés à l’aménagement du territoire (eau, déchets, pollutions diverses …), avait commencé à développer un volet animations en embauchant une salariée. Ce signalement a été l’occasion de poursuivre la diversification de nos actions autour de la protection des espèces menacées.
Peu familiarisés avec ces sujets, nous avons demandé l’aide du CEN (Conservatoire des Espaces Naturels) de l’Isère, notamment du directeur de la réserve nationale de la tourbière du Grand-Lemps, lieu d’actions fortes pour la protection des amphibiens.
Le chemin du Marais prolongé par le chemin du Moulin sur la commune voisine de Penol constitue un obstacle assez classique pour les migrations d’amphibiens : côté sud une colline boisée, côté Nord un étang communal à l’entrée est du site et un étang privé à l’entrée ouest avec des secteurs humides entre les deux partiellement alimentés par une eau de bonne qualité puisque issue d’une résurgence de la nappe phréatique.
Quel type de protection envisager ?
Sur ce secteur, il est difficile – dans l’état actuel des choses – d’envisager des aménagements lourds et coûteux (crapauducs de la réserve du Grand-Lemps par exemple – photo ci-contre) : la propriété foncière côté bois comme côté zone humide est privée hormis la zone autour de l’étang de pêche d’Ornacieux qui constitue une très faible surface de l’ensemble : sans propriété publique d’une surface suffisante il est difficile de se prémunir contre d’éventuelles modifications des milieux à discrétion des propriétaires même si ceux-ci ne peuvent agir sans autorisations (en tous cas en ce qui concerne des zones humides figurant dans des inventaires officiels comme celui du SAGE Bièvre Liers Valloire). Le faible trafic routier est aussi un facteur limitant en comparaison des lieux où ont été réalisés des aménagements par le département de l’Isère (routes départementales), sans compter la question de la compétence administrative (communale sur des voies communales) et les faibles ressources des communes. De plus, quand cette solution est choisie, elle n’est mise en œuvre qu’après plusieurs années de solutions temporaires, temps nécessaire pour une étude approfondie des populations d’amphibiens concernées, suivie du montage financier et technique du projet.
Il est également difficile d’envisager la pose de filets et de seaux en bordure de route côté bois, protection temporaire souvent utilisée en l’absence d’aménagements permanents, du fait de la longueur de l’itinéraire (1,4 km), de l’absence de bas-côté pour la pose des filets au-delà des 400 premiers mètres de la route et du coût élevé d’acquisition du matériel pour notre association.
Une fermeture temporaire de route n’est pas non plus possible : présence du gite du Moulin Piongo au milieu de l’itinéraire.
Nous avons donc fait le choix du passage en début de nuit pour une aide manuelle à la traversée des animaux accompagnée d’un comptage des écrasés de la nuit précédente, protection partielle mais aussi moyen d’acquérir de la connaissance sur les populations du secteur.
Cette action a été mise en œuvre en février-mars 2019, reconduite en 2020 (pas en 2021 ; couvre-feu du covid) en 2022 et en 2023. Elle sera reconduite en 2024. Chaque soir, pendant 4 semaines environ (mi-février à mi-mars) des équipes de 3 ou 4 bénévoles se succèdent en début de nuit pour un aller-retour sur l’itinéraire. En 4 campagnes 1500 animaux environ ont été « sauvés » sur environ 3000 comptés par 16 à 31 bénévoles selon les années.
Quels résultats ?
Cela ne donne qu’une vision imparfaite des populations du site contrairement aux comptages exhaustifs qu’on peut réaliser avec la pose de filets (dans une action de ce type on ne peut pas compter le nombre d’animaux qui sont passés pendant le reste de la nuit et qui n’ont pas été écrasés alors que la présence de filets et de seaux dans lesquels les animaux tombent permet de compter tous les animaux). On relève néanmoins quelques tendances, par exemple :
• l’absence totale de traversées quand la soirée est froide /ou sèche
• le nombre d’animaux : une année « pleine » est suivie d’une année « creuse » (2019 : 914, 2020 : 422, 2022 : 1006, 2023 : 485, 2024 : 938)
• la présence importante de crapauds sur le début de l’itinéraire (secteur 1) et celle de tritons sur la fin de l’itinéraire (secteur 4).
Nous n’avons pas d’explication pour la variabilité du nombre d’animaux. En ce qui concerne le dernier exemple, cela pourrait être dû à la présence de l’étang communal de pêche (la présence de poissons est tout à fait dissuasive pour les tritons) au niveau du secteur 1 et à la présence d’un étang comportant une grande zone d’herbiers dans son pourtour (les tritons accrochent leurs œufs dans la végétation) au niveau du secteur 4, mais ce n’est qu’une hypothèse !
Formation, information : une autre manière de protéger
Parallèlement à cette action centrée sur la période de migration nous avons œuvré d’une part pour améliorer nos compétences et pratiques sur les amphibiens, d’autre part pour sensibiliser riverains et habitants à la protection de ce riche milieu local.
Nous avons été accueillis à plusieurs reprises par les gestionnaires de l’étang du Grand Lemps dans le cadre des animations publiques de terrain organisées sur le site de la tourbière au moment des migrations ou à l’occasion d’animations dédiées aux bénévoles participants à l’action (notamment pour apprendre à reconnaître les espèces). Une soirée de présentation en salle avec support diapos organisée en février 2022 a également rassemblé une vingtaine de participants. De plus chaque campagne de « sauvetage » est généralement précédée d’une réunion des bénévoles sur le terrain pour que les nouveaux fassent connaissance avec les lieux et pour repréciser les consignes.
Depuis 2019 nous avons rencontré régulièrement les élus des deux communes concernées – Penol et Ornacieux-Balbins, a minima deux fois par an : avant la période de migration (automne) et après (présentation du bilan de la campagne). A partir de 2023 une signalisation – non contraignante – a été mise en place aux deux entrées du site.
En janvier 2022, janvier 2023, janvier 2024 des articles ont été publiés dans le bulletin municipal d’Ornacieux-Balbins à la demande de la commune , ainsi qu’une information sur le panneau pocket du village en janvier 2024 pour rechercher des bénévoles.
Une soirée d’information a été organisée en décembre 2021 à la salle des fêtes de Penol animée par Jean-Luc Grossi du CEN, spécialiste passionné des amphibiens. Elle a rassemblée une quarantaine de personnes. Nous avons aussi organisé une animation sur le terrain un soir de passage de bénévoles (février 2022 – une vingtaine de participants également).
Des perspectives d’évolution
Nous souhaiterions dans les prochaines années nous appuyer plus sur des bénévoles habitants les deux villages concernés.
La biodiversité de la partie du site dont la commune d’Ornacieux-Balbins est propriétaire pourrait être améliorée par le creusement d’une mare à amphibiens à proximité de l’étang de pêche (des subventions, notamment départementales sont disponibles pour cela), ce qui permettrait d’attirer des tritons sur ce secteur. Il devrait alors devenir plus intéressant d’équiper de filets le début de l’itinéraire (distance 300m et bas-côté permettant la pose des filets).
En guise de conclusion…
Pour notre association cette action de « sauvetage » d’amphibiens a marqué une étape importante pour la diversification de nos actions. Elle s’est développée en partenariat « officieux » avec le CEN , partenariat qui deviendra tout ce qu’il y a de plus officiel à l’occasion de notre projet « Inventaire et création de mares en plaine de Bièvre ». Il est vraisemblable que sans les « petites bêtes » d’Ornacieux nous n’aurions eu ni ce projet, ni ce partenariat étendu pour cette occasion à d’autres structures (LPO, Communauté de communes…)