Comment recréer une trame bocagère sans replantation ?
Compte-rendu d’une sortie dans les monts du Lyonnais en compagnie d’un technicien de la Fédération des chasseurs du Rhône – novembre 2018
Les haies champêtres spontanées sont des haies issues de graines ou de rejets provenant de végétaux environnants, l’homme n’intervient pas. Les observations sur le terrain montrent qu’il est possible de recréer une trame bocagère à moindre coût et d’une grande qualité environnementale.
Technicien à la Fédération des Chasseurs du Rhône et Métropole de Lyon, Jérôme Berruyer travaille, depuis plus de trente ans sur les haies champêtres. D’importants linaires ont été plantés sous son impulsion dans le département du Rhône depuis les années 90, mais parallèlement, les destructions et arrachages continuent en zones agricoles. Aujourd’hui, si cette politique de replantation se poursuit, c’est plus vers une logique de préservation de l’existant et de développement naturel que se concentre Jérôme Berruyer.
Les haies champêtres sont des éléments incontournables et traditionnels des paysages. Elles jouent des rôles très important dans notre environnement notamment sur la qualité de l’eau, l’érosion des sols, l’agriculture et la biodiversité. Pourtant, elles ont peu à peu disparu. Le linéaire de haies en France est passé de 1 244 110 km en 1975 à 707 605 km en 1987, soit une perte annuelle d’environ 45 000 km. (Source Inventaire Forestier National). Depuis 1995, sous l’effet des politiques publiques de replantation, les surfaces de haies restent désormais stables en moyenne au niveau du territoire national. Après une forte période d’arrachage de haies, d’arbres épars, de vergers de haute tige et de bosquets entre 1950 et 1990 et leurs conséquences désastreuses : érosion des sols, glissement de terrain, absence de protection pour la faune environnante, on constate depuis 1990 un net ralentissement de l’arrachage des haies, qui est dû aux différentes politiques publiques mises en œuvre pour soutenir financièrement la plantation puis l’entretien des haies.
Cependant cette meilleure protection des haies ne s’applique pas aux arbres épars, aux fruitiers de haute tige et aux bosquets dont les surfaces continuent de reculer.
La plantation de nouvelles haies représente un investissement important pour les propriétaires fonciers et les collectivités locales (régions, départements) qui participent financièrement à ces actions. Le coût au mètre linéaire se situe entre 16 et 30 € hors taxes entre la fourniture des plants, du paillage, des protections gibier, la main d’œuvre pour la préparation du sol et la plantation et ce sans compter l’entretien indispensable les premières années. De plus, la plantation de haies présente l’inconvénient d’introduire, pour tout ou partie des plants, des végétaux provenant d’autres régions voire d’autres pays. La plantation de plants issus de graines locales reste encore anecdotique.
Une étude sur photos aériennes, menée en 2004 par la Fédération des Chasseurs du Rhône et la Fédération Rhône Alpes de Protection de la nature (FRAPNA devenue FNE Isère) et financée par le département du Rhône, a démontré qu’en moyenne 15% du maillage bocager sur le département avait disparu entre 1945 et 2000 avec des secteurs où 69 % des haies avaient disparu. Néanmoins sur plusieurs secteurs, on a constaté que ce maillage avait progressé de près de 50 %, sans qu’aucune opération d’envergure de plantations n’ait été remarquée. Sur les 21 sites observés sur le département, 14 ont vu leur linéaire de haies baisser, tandis que sur 7 sites ce linéaire a augmenté. Après visite sur le terrain il a été constaté que sur ces zones d’élevage, des haies naturelles s’étaient installées spontanément entre des clôtures doubles à l’image d’une terre laissée en friche. Ces haies spontanées issues de graines de végétaux autochtones environnants sont parfaitement adaptées aux conditions pédoclimatique du site et présentent toutes les qualités environnementales et en terme de biodiversité.
A partir de ce constat, la question s’est posée sur l’opportunité de laisser faire la nature, ou au moins comment favoriser ce développement spontané. Plusieurs stades se succèdent dans la formation d’une haie spontanée. La strate herbacée apparaît en premier lieu, puis les semi ligneux et enfin les essences ligneuses (arbustes et arbres). Parmi ces derniers ce sont généralement d’abord les épineux qui se développent : ronces, prunelliers, églantiers, aubépines. Puis apparaissent chênes, frênes, érables… La croissance est plus ou moins rapide suivant le sol, la végétation environnante, la réserve éventuelle de graines contenues dans le sol.
La Fédération des Chasseurs du Rhône accompagnée par Le département du Rhône ainsi que la communauté de communes du pays Mornantais a testé plusieurs techniques pour favoriser le développement de haies spontanées. Ces essais ont été mis en place en automne 2009 sur la commune de St Andéol-le-Château (Monts du Lyonnais) sur le terrain d’un agriculteur partenaire.
Les essais réalisés par Jérôme Berruyer s’inspirent de deux techniques :
- La technique de Benjes (écologue allemand) consiste à disposer horizontalement sur le sol des branches sur un mètre de haut, pour créer des niches écologiques pour la faune sauvage locale. Cette dernière, par ses déjections, assure la dissémination des graines des essences autochtones. De plus l’enchevêtrement des branchages bloque les graines véhiculées par le vent. Cette technique nécessite toutefois de disposer d’une grande quantité de branchages.
- La seconde technique, testée par l’Association Prom’haies dans les Deux Sèvres, consiste à travailler le sol (labour et herse rotative) afin de faire ressortir une banque potentielle de graines déjà présentes dans le sol. Puis en début d’automne de disposer sur celui-ci des rameaux fructifères d’aubépine, de prunellier et d’églantier et autres résidus de taille de végétaux ligneux indigènes sur 1.50 m de largeur et 60 à 80 cm de hauteur. L’emprise de la haie est délimitée par des piquets jouant parallèlement le rôle de perchoir pour les oiseaux. Les graines sont ainsi apportés de trois manières : par les rameaux, la faune et le vent.
L’essai sur la commune de St Andéol est situé sur une prairie se divise en quatre séquences :
- séquence 1 : avec une préparation superficielle du sol : 10 cm (herse ou rotovator), et disposition, en andain de 1.50 m de largeur et 60 à 80 cm de hauteur, de rameaux fructifères coupés dans les haies et bosquets voisins
- séquence 2 : avec une préparation profonde du sol : 30 cm (charrue) et disposition de rameaux fructifères comme la séquence 1
- séquence 3 : sans préparation du sol mais uniquement disposition de rameaux fructifères comme les séquences 1 et 2
- séquence 4 : aucune intervention humaine à l’emplacement de la haie
Les quatre zones ont été délimitées par une clôture en piquets de bois et fils de fers (zone de défend contre le gros gibier ou les animaux d’élevage et éviter le fauchage accidentel). Ce dispositif évite également la dispersion par le vent des rameaux disposés sur le sol.
Un mois plus tard. Lors de la première visite de suivi mi novembre 2009, il a été constaté que les andains de rameaux fructifères étaient bien exploités par les oiseaux, de nombreux indices de présence ont été relevé (plumes et fientes).
Fin mars 2010, les andains de rameaux fructifères présentent encore quelques fruits mais la plupart ont été consommés. Sur les séquences avec travail du sol, la strate herbacée commence à se redévelopper.
Fin juillet 2010 : apparition de quelques tiges d’églantier et de ronce ainsi que des rejets de prunellier sur la séquence sans aucune intervention.
Un an plus tard, les observations réalisées en juillet 2011 montrent sur toutes les séquences une végétation herbacée très dense, celle-ci est majoritaire sur toute la longueur, d’une hauteur moyenne de 50 cm et très fleurie, ce qui attire les insectes pollinisateurs et auxiliaires. Les séquences avec travail du sol présentent une state herbacée plus diversifiée.
Toutes les séquences présentent une végétation ligneuse, mais celle-ci est très clairsemée sur les deux séquences avec travail du sol (seulement quelques plants isolés de prunellier ou églantier) alors que celle-ci est plus dense sur les séquences sans travail du sol et d’une hauteur moyenne de 1 à 1.30 m (ronce, prunellier, églantier, aubépine). Les plants observés en deuxième année semblent davantage issus de rejets de végétaux déjà présents que de germinations.
Au vu de ces premières constatations, confirmées par la suite, la séquence sans aucune intervention, présente les meilleurs résultats en termes de rapidité de développement, biodiversité et coût. Mais quelque soit la technique, le développement de haies spontanées favorise les strates herbacées et semi ligneuses, strates très favorables aux auxiliaires.
Jérôme Berruyer estime que cette technique de régénération naturelle des haies sans aucune intervention est une solution à privilégier sur les talus le long des routes et chemins ruraux. Sur ces zones, la plupart du temps, les végétaux ligneux sont déjà largement présents mais rasés régulièrement chaque année lors de l’entretien des bords de route. Sur plusieurs communes de la plaine de la Saône, un programme de régénération de haies a ainsi été mené depuis 2007. Sur ces secteurs délimités par de simples échalas de châtaigner, une végétation arbustive s’est depuis largement développée (ronces, prunelliers, églantier, aubépine, cornouiller sanguin, troène vulgaire, fusain) ainsi que plusieurs essences d’arbres : chêne pédonculé, érable champêtre, merisier, frêne.
Cependant, la réussite dépend largement des personnes chargées de l’entretien : employés communaux ou départementaux, agriculteurs ou entreprises prestataires. Leur formation et leur engagement en faveur des haies est nécessaire. De nombreux linéaires de haies sont encore trop souvent massacrés par les outils de coupes : forte réduction en largeur, branches déchiquetées, troncs abîmés, labours trop proches. Pour éviter ces écueils, le technicien propose aux communes et leurs prestataires de s’engager en signant une charte de bon entretien.
Sur un talus de ce type, l’arrêt du fauchage a, en une dizaine d’années, permis le développement d’une haie spontanée.
Une végétation arbustive s’est depuis largement développée ainsi que plusieurs essences d’arbres.
De nombreux linéaires de haies sont encore trop souvent massacrés par les outils de coupes : forte réduction en largeur, branches déchiquetées, troncs abîmés, labours trop proches.
En résumé
La méthode spontanée permet d’implanter des haies là où les conditions de plantation sont difficiles : terrain en pente, terrain peu profond (roche affleurante), entretien après plantation impossible (désherbage, arrosage), budget insuffisant pour assurer des bonnes conditions de reprise (travail du sol en profondeur, paillage) ou budget inexistant.
La haie spontanée visitée avec Mr Berruyer de la Fédération de Chasse du Rhône et Métropole De Lyon (FDCRML) est éloignée de plusieurs centaines de mètres d’autres formations ligneuses et cependant elle est dense sur toute sa longueur, sans trouées. L’éloignement d’autres formations ligneuses, ne semble pas un obstacle à l’arrivée des espèces ligneuses et à l’implantation d’une haie spontanée.
Vitesse d’implantation :
Des petits ligneux de 1m à 1m30 de haut sont observés au bout de 3 ans sur la haie spontanée expérimentée par la FDCRhône. A 10 ans c’est une haie multistrate dense sur toute sa longueur avec quelques arbres.
Dans l’expérience de la FDCRML, confirmée dans d’autres régions (association Prom’haie en Nouvelle Aquitaine), le travail du sol freine la germination des ligneux. Ils semblent germer sur un couvert herbacé, ce qui correspond à l’évolution climacique des sols (mousses et lichens, herbe, arbustes puis arbres). Le tronçon sans travail du sol, recouvert d’un andain de rameaux avec fruits, donne également des résultats inférieurs au tronçon sans intervention. La couverture du sol par un andain de branches doit faire disparaître l’herbe privée de lumière par l’épaisseur, tel un paillage. Le sol se trouve désherbé comme par un travail du sol. On retiendra aucune intervention sur l’emprise, pour implanter une haie spontanée.
Délimitation de l’emprise de la haie spontanée :
Dans l’expérience de l’association Prom’haie des piquets sont plantés sur l’emprise de la haie pour servir de perchoir aux oiseaux. Les fientes déposées au pied des piquets montrent que les piquets sont effectivement utilisés par les oiseaux et qu’ils sèment des graines au pied. Les arbres et arbustes risquent de s’implanter principalement à cet endroit. Dans le cas de clôtures délimitant l’emprise de la haie, les troncs se trouveraient en limite de l’emprise, exposés aux engins d’entretien.
Mr Berruyer accepte de planter sur un rang mais demande une emprise minimum de 2 m de large. Ce compromis semble judicieux : les troncs se trouvent à l’intérieur de la haie moins exposés aux engins d’entretien et les végétaux ont 1m de part et d’autre pour se développer.
Dans l’expérimentation de haie spontanée de Mr Berruyer, les jeunes plants d’églantier et de ronce se sont effectivement implantés sous une clôture, mais seulement celle située à l’Est. On peut supposer que ce sont les conditions d’ensoleillement qui ont favorisé cette implantation : les semis bénéficient du soleil du matin, le plus important pour la croissance des plantes et sont protégés du soleil de l’après-midi par la végétation herbacée haute qui a colonisé l’emprise de la haie.
Dans la Bièvre nous avons observé des haies apparues sur des linéaires de clôture simples. Une seule ligne de clôture barbelée suffit pour implanter une haie.
En conclusion, les semis d’arbustes et d’arbres peuvent s’implanter en limite de l’emprise réservée à la haie. Ces végétaux auront besoin d’un minimum d’espace en largeur pour croître et risquent de dépasser l’emprise choisie au départ. En prévision, les piquets délimitant l’emprise pourraient être placés en retrait d’au moins 50 cm du bord prévu pour la haie.
Compte-rendu établi par Claude Thiery et Stéphanie Blachon